A-x, que vaut votre kicker ?
Par Raquel Azran
LivePoker n°9
le lien : http://www.livepoker-mag.com/article-A- ... icker.html
Flopper une paire d’As, c’est bien. Mais si vous n’êtes pas le seul dans ce cas, quid de votre kicker ? Pour éviter de perdre la tête et des piles de jetons pour une histoire de kicker, une solution simple : jeter ces mains à problème. Sauf dans quelques conditions particulières. Explications.
C’est à votre tour de parler. Vous ouvrez votre première carte : ça commence plutôt bien, c’est un As de Pique. Vous vous concentrez, le cœur légèrement battant, espérant découvrir, pourquoi pas un autre As, ou même un Roi, si possible de Pique lui aussi. Dommage, votre deuxième carte est un Trois de Cœur franchement décevant… Si les « beaux As » sont des mains très intéressantes, souvent relançables, que faire de cette semi-poubelle ? Car vous ne l’ignorez sûrement pas, pour l’avoir déjà vécu à de nombreuses reprises, les As accompagnés de kickers médiocres sont des mains à problèmes.
Quand la position le permet, que le pot n’a pas été relancé, la plupart des joueurs callent avec ces « mauvais » As. Mais c’est après que les soucis commencent. Que faire quand on a trouvé son As au flop, au milieu de cartes apparemment anodines ? On mise, bien sûr. Si personne ne l’a fait avant vous. Mais si un de vos adversaires, placé avant vous, a déjà misé ? Pire, si tout le monde checke avant vous, vous misez et que vous êtes relancé par un petit malin qui vous fait un check raise ? Qu’en déduire ? Que vous êtes en mauvaise posture, et ce dans tous les cas !
Plusieurs hypothèses sont alors envisageables : ou votre adversaire, mal placé, s’est contenté de caller avec un As solide, et se retrouve maintenant obligé de faire un slowplay et donc de faire un check raise sur vous pour tester votre As ; c’est plutôt bien joué, il est ainsi fixé sur la force de votre jeu comme sur la sienne. Ou bien vous avez affaire à un joueur expérimenté, qui pense que vous tentez de voler le pot grâce à votre position ou qui a bel et bien lu la faiblesse de votre As, et qui saisit l’occasion pour vous revenir dessus ; là aussi, rien à redire, le coup est très bien joué ! Car en effet, la faiblesse de votre kicker est paralysante et ne vous autorise pas, en toute logique, à suivre. A moins que… Et si, après tout, vous aviez effectivement la meilleure main et qu’on voulait profiter de la relative faiblesse que vous avez affichée pour vous arracher le coup et vous forcer à jeter le jeu gagnant ? Pris dans ce dilemme, envahi par le doute et l’incertitude, vous décidez finalement de suivre malgré tout. Pour découvrir au showdown et sans grande surprise, que votre adversaire avait AtVk, une main effectivement trop moyenne pour être relancée en début de parole, mais suffisamment forte pour raiser un adversaire en fin de parole qui a un As avec un kicker de toute évidence médiocre.
Ce scénario, familier pour tous les joueurs de No Limit Hold’em, appelle un constat trivial : les As avec de mauvais kickers perdent toujours contre les As bien accompagnés. A moins de toucher leur deuxième paire au turn ou à la river, soit une occurrence d’environ 12% ; et encore faut-il que votre adversaire n’ait pas lui aussi trouvé sa double paire quelque part sur le board… Bref, inutile de trop compter sur le hasard et la chance pour gagner avec ces « petits As ». Faut-il pour autant toujours jeter ces mains ? Souvent, il le faudra. Mais pas toujours. Voyons celles qui méritent d’être jouées et dans quelles conditions.
Les petits As suités
De tous les « mauvais » As, les petits As suités sont largement ceux qui méritent le plus d’être joués, pour leur évident potentiel de couleur max. Toutefois, il faut d’abord que le pot n’ait pas été relancé pré-flop (ou du moins dans les limites du raisonnable), car il vous sera difficile d’assumer une grosse relance avec ce genre de main, tout spécialement si vous êtes hors de position. Par ailleurs, plus de joueurs sont impliqués dans le coup, grossissant ainsi le pot, le mieux c’est. Car vous avez ainsi une cote financière correcte pour suivre pré-flop, ainsi qu’une cote potentiellement intéressante dans le cas où vous toucheriez un tirage de couleur. De plus, vous pouvez avoir des possibilités de semi-bluff en cas de tirage, où votre main s’avère néanmoins la meilleure même si vous n’améliorez pas. C’est typiquement le cas lorsque l’un de vos adversaires tire la même couleur que vous, à une hauteur forcément inférieure, et que la couleur n’est pas complétée. Dans la majorité des cas, vos mises respectives post-flop auront en toute logique éclairci le champ de bataille, vous assurant le tête-à-tête jusqu’à la fin du coup : vous ne craignez donc rien d’un tierce jeu.
Exemple : vous êtes quatre joueurs engagés dans un coup sans aucune relance pré-flop, et vous êtes dernier de parole, avec Ap6p. Le flop s’affiche : 7p4c2p. Plutôt alléchant pour vous, mais a priori rien de bien palpitant pour vos adversaires… à l’exception de l’infortuné joueur de grosse blinde, qui a trouvé Rp8p. Et qui croit qu’il a encore 9 Piques pour gagner, en plus des 3 Huit et des 3 Rois qui lui donnent une overpair ; soit 15 outs ! De quoi s’emballer un peu, en effet… Alors qu’en fait seules ses deux overcards sont « vivantes ». S’il ne touche pas l’un de ces 6 outs, vous remporterez le pot sur abandon, et si par bonheur un Pique venait au turn ou à la river, vous mettrez la main sur l’intégralité de son stack.
Parfois, la nature « assortie » de votre petit As peut neutraliser la faiblesse de votre kicker, ou du moins vous fournir une porte de sortie pour tenter des moves techniques avec quelque succès (le check raise en semi-bluff notamment). Imaginons par exemple que vous ayez Ac2c en position de grosse blinde, et que le flop se présente comme tel : Ak4c9p. Il vous est à peu près impossible de miser dans votre position, car n’importe qui avec un As en main vous bat forcément, et inutile de croire qu’en misant en tout début de parole, vous ferez passer des mains telles que A10 (ni même en dessous !), car le jeu est aujourd’hui beaucoup trop large et agressif pour espérer tomber sur des joueurs aussi serrés. Avec un peu de chance, tout le monde checke. Dans cette configuration, il vous reste à espérer que ce turn auquel vous avez eu droit gratuitement soit une carte à Cœur. Ainsi, même si vous n’avez certainement pas le meilleur As (quoique rien ne dit encore à ce stade du coup que vous ne soyez pas le seul à avoir la top paire), et même si un joueur slowplay un très gros jeu du type deux paires ou brelan, du moins avez-vous le meilleur tirage. Vous pouvez alors légitimement miser. Un adversaire ayant en main AR ou AD hésitera à vous relancer ici car, vu le déroulement du coup et l’absence de relances pré-flop comme post-flop, il aura du mal à situer son jeu et à être sûr d’avoir encore la meilleure main. S’il le fait néanmoins (et c’est d’ailleurs ce qu’il faut faire dans sa position), et que vous avez les bons pot odds pour suivre, allez-y : vous avez en théorie 12 outs pour améliorer votre jeu… les 9 Cœur restants et les 3 petits Deux. Bingo, la river est un Cœur ! Vous êtes alors en parfaite position pour faire un bon value bet des deux tiers du pot à son intégralité. Ou bien vous serez payé car votre adversaire pensera à un bluff de nécessité, seule façon en effet pour vous de sauver le coup avec un As médiocre, ou alors il vous abandonnera le pot. Dans un cas comme dans l’autre, vous ne pourrez pas vous plaindre de l’issue du coup ! Notez que cette attaque en semi-bluff peut parfois s’avérer payante même si vous avez A-x offsuit*. Si le flop ou les quatre premières cartes du board affichent trois cartes de la même couleur que votre As, vous pouvez attaquer le coup en semi-bluff, histoire de prendre la température. Si vous gagnez le coup arrêté, tant mieux. Sinon, ne vous entêtez pas. Car si un joueur a déjà la couleur, il vous fera payer très cher votre tirage. De plus, avec 3 cartes d’une même couleur sur le tapis, 2 autres dans la main de votre adversaire et encore une dans la vôtre, vous n’avez plus que 7 outs. Deux arguments qui devraient vous convaincre que vous n’aurez jamais une cote appropriée pour suivre dans cette configuration, et qu’il vous faut donc passer. Tout simplement.
Le kicker moyen pas médiocre, mais… gare !
Souvent, les joueurs débutants comme ceux de niveau intermédiaire s’emballent avec A8 ou A9 sur des flops où leur kicker est la plus grosse carte, des flops du type 8-3-5 ou 9-6-2 rainbow**. Ils croient avoir le coup dans la poche simplement parce qu’ils ont top paire/top kicker. Comme nous l’avons vu dans le dernier numéro de Live Poker dans l’article « As-Roi », AR est le genre de mains avec lesquelles, quand on floppe sa paire, on a toujours top paire/top kicker, et ce qu’on ait trouvé l’As ou le Roi. Ce n’est pas le cas avec A-x. Ici, il n’y a qu’une seule façon d’avoir top paire/top kicker. Or, ce n’est pas forcément le jeu le plus confortable, ni surtout le plus solide. Imaginez que vous soyez au cut off*** avec A9 et décidez, dans un élan de largesse, de suivre une relance. Le flop affiche 9-x-y. Sans compter la possibilité qu’un de vos adversaires ait floppé un brelan, il est probable, étant donné la relance pré-flop, qu’un de vos adversaires ait une pocket pair (pourquoi pas les Dix ou les Valets), et un autre qui, avec ses overcards, serait tenté d’aller voir le turn sur un flop d’apparence si inoffensive. En toute logique, il faudrait donc que vous misiez gros pour protéger votre main. Mais que faire si on vous sur-relance – hypothèse plus que probable avec une grosse paire servie ? Vous pouvez difficilement envisager d’engager tous vos jetons dans un coup où votre jeu se résume à top pair Neuf… Car pour le gagner, il va vous falloir prier fort pour que votre adversaire tente un gros bluff ! Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez pas et vous ne devez pas compter sur une erreur ou un bluff de votre adversaire. C’est le genre de coup intenable dans lequel il est nettement préférable de ne pas se laisser entraîner. Et la solution à cela est finalement assez simple : si le pot a été relancé, jetez vos mauvais As. Avant le flop – le plus tôt sera le mieux ! Et les As médiocres aussi. Car que vous ayez A9 ou A2, quelle différence si vous affrontez AR ou AD ? Aucune ! Pour sortir victorieux de la confrontation, il vous faut trouver votre kicker, et que celui-ci tienne jusqu’à la river. En somme, avec des mains comme A7, A8, A9, vous jouez non pas votre As mais votre autre carte. Plutôt stupide, non ? Les joueurs qui se méfient de leurs petits As comme de la peste ont un sérieux avantage sur les autres, car non seulement ils s’évitent des situations problématiques, mais en plus ils peuvent aisément tirer profit de ceux qui, eux, jouent et surjouent ces mains.
Les petits As, reflets des joueurs
Si vous parvenez à savoir de quelle façon vos adversaires jouent leurs As, bons ou mauvais du reste, vous en retirerez une mine d’informations extrêmement précieuse pour dresser leur profil. Sans doute aurez-vous même les clés de leur jeu tout entier. Car la façon de jouer ses As, selon qu’ils sont accompagnés d’un bon ou d’un mauvais kicker, selon qu’ils sont assortis ou non, définit en grande partie le style un joueur. Votre adversaire ne joue-t-il ses petits As que s’ils sont suited**** ? Peut-il relancer en milieu de parole avec un As moyen ? Ou bien ne s’engage-t-il qu’avec des As musclés du type AV ou mieux ? Cette dernière information, en particulier, a son importance. Primo pour ne pas vous embourber dans un coup contre lui avec un As médiocre. Secundo, pour le bluffer dans le cas où le flop n’affiche que de petites cartes, auquel cas il pourrait être tenté d’abandonner ses overcards si vous misez. Tout ceci bien sûr dans l’hypothèse où vous savez à qui vous avez affaire. Car certains joueurs sont des adeptes inconditionnels du continuation bet et ce quel que soit le flop, d’autres encore n’hésitent pas à payer une enchère avec AR sur un flop blanc dans l’espoir de trouver une paire au turn. Bref, étudiez attentivement dans quelle mesure et de quelle façon vos adversaires jouent ou pas leurs petits As, et vous saurez très facilement si vous avez en face de vous un joueur mauvais ou au contraire un joueur fin et subtil, un joueur large, serré, agressif etc. Mais de la même façon, les plus malins parmi vos adversaires utiliseront le même filtre pour vous analyser. D’où un dilemme. En effet, nous l’avons vu, la meilleure façon de jouer ses mauvais As, c’est, en toute rigueur, de les jeter. Mais alors vous deviendriez un livre ouvert pour vos adversaires. Et pour parer à cela, pour se montrer imprévisible et insaisissable, vous devez varier votre jeu, les mains que vous jouez et votre façon de les jouer. Mieux, jouer des mains différentes de la même façon. Ceci inclut jouer ses petits As comme les gros, mais sous certaines conditions seulement.
- La première, évidente, est d’avoir la position sur votre adversaire. Nous ne dirons jamais assez à quel point la position est essentielle au No Limit Hold’em. Un mauvais As en dernier de parole est nettement moins exposé qu’en début de parole. Car si votre adversaire checke sur un flop avec un As, vous pouvez tenter une mise « test », du tiers à la moitié du pot, destinée à vérifier s’il a lui aussi la top pair, ou si le malheureux vient de voir ses Rois réduits en miettes. Si vous êtes relancé, il est plus sage de fuir. S’il suit, espérez un autre check au turn pour voir gratuitement la river. Et s’il passe… tant mieux ! Ceci étant dit, même avec la position, il vaut mieux ne jouer ces mains que dans un pot qui n’a pas été relancé.
- La seconde, si votre AX est assorti. Non pas que cela confère à votre main une valeur ajoutée inestimable. En effet, deux cartes assorties n’ont que 3% de valeur supplémentaires par rapport aux deux mêmes cartes dépareillées ; et une main suited ne termine en couleur que dans 3% des cas : inutile de dire que ces pourcentages sont insuffisants pour transformer un fold en call. Néanmoins, ils suffisent pour établir une méthode de sélection de vos mauvais As qui rende votre jeu varié et imprévisible. Si vous jetez tous vos A2 et A3 offsuit mais suivez ou même relancez, en position, avec de petits As suités, vous avez alors juste ce qu’il faut de consistance pour un jeu solide, et juste ce qu’il faut de fantaisie pour être imprévisible. La meilleure façon de faire croire à ses adversaires que, quand on est impliqué dans un coup, on a du « lourd ». Au final, n’oubliez pas qu’AX est une main de tirage. Quand vous avez Ac7c, vous jouez bien plus la couleur que l’As. Quand vous avez A2, A3, A4 ou A5, vous cherchez davantage à toucher une quinte qu’un As. Et dans tous les cas, avec un petit kicker, vous espérez trouver deux paires. C’est l’une des meilleures configurations dans laquelle vous puissiez vous trouver avec un mauvais As. Moins voyant qu’une suite ou une couleur, ce jeu camouflé est idéal quand vous avez la position et quand vous pensez que votre adversaire est susceptible de vous payer le prix fort avec son gros As. Gare toutefois à l’emballement. Car même avec deux paires, vous n’êtes pas à l’abri d’une mauvaise surprise. Car sur un flop du type A-3-V, si vous avez A3, c’est bien, mais rien ne garantit que votre adversaire n’a pas AV… Et même si vos deux paires sont gagnantes au flop, un adversaire avec AR vous suivra certainement jusqu’à la dernière carte et pourra trouver un Roi en cours de route. En tout état de cause, avec deux petites paires à l’As, vous devez être prudent si des figures venaient à garnir le board, car vos deux paires risquent fort de ne plus s’avérer suffisantes. Et là, désastre garanti…
* Offsuit : dépareillés
** Rainbow : de trois couleurs différentes
*** Cut Off : la position qui précède le bouton
**** Suited : assortis
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Messagepar nodread » Lundi 12 Mai 2008 20:40
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